
Lorsque Xi Jinping a visité en 2014 ce canton rural du centre de la Chine, l’endroit était connu pour deux choses: sa misère noire et son fonctionnaire mort en héros en tentant d’aider les paysans.
Trois ans plus tard, surfant sur la visite présidentielle, Lankao vient de passer au-dessus du seuil de pauvreté… juste à temps pour le grand congrès du parti au pouvoir.
Rues fraîchement pavées, centre communautaire flambant neuf, petit mémorial rappelant la visite présidentielle: le village de Zhangzhuang, au coeur du canton, est devenu un symbole national de la lutte contre la pauvreté — dont Xi Jinping ambitionne de venir à bout dans les campagnes d’ici 2020.
Le portrait du président chinois est omniprésent dans le canton, dont les destinées ont été prises en mains directement par M. Xi aux termes d’un jumelage entre les grands dirigeants du pays et des autorités locales.
Une vitrine donc de l’action présidentielle, alors que s’ouvre le 18 octobre le XIXe congrès du Parti communiste chinois (PCC) qui doit donner un nouveau mandat de cinq ans à Xi Jinping. Sa visite s’est traduite par une flambée d’investissements publics et privés.
Lankao, dans la province surpeuplée du Henan, est resté longtemps abonné à la misère, avec ses petits lopins de terre qui produisent maïs, blé et cacahuètes, mais avec des rendements trop faibles pour faire vivre les habitants.
Si l’homme fort de Pékin a choisi ce canton, c’était aussi pour son lien avec Jiao Yulu. Dans la plus pure tradition communiste, l’histoire officielle présente ce cadre du parti comme un héros national, mort surmené en 1964 en aidant les paysans à sortir de la pauvreté.
La venue du président « nous a encouragés et nous a inspirés », s’enthousiasme Wang Qifu, un responsable local, devant un immense monument dédié à l’ex-cadre bourreau de travail. Des aides sociales mieux gérées et des micro-crédits ont permis aux familles d’accroître leurs revenus en achetant bétail et équipements, se félicitent les autorités.
– Sentiment de pauvreté –
A l’échelle nationale, la Chine a sorti 700 millions de personnes de la pauvreté depuis le lancement des réformes économiques en 1978, selon des chiffres gouvernementaux.
Mais si l’amélioration dans le canton de 760.000 habitants est sensible depuis 2014, des paysans en périphérie de Zhangzhuang vivent toujours dans des maisons délabrées, illustrant les inégalités dans le développement économique de la Chine.
« On n’a vu aucun changement ici », déclare à l’AFP une vieille dame qui refuse de donner son nom. « Les gens qui ont des relations avec les autorités villageoises sont sortis de la pauvreté. Les autres non. »
D’autres habitants déclarent se sentir toujours aussi pauvres: pour eux, gagner plus signifie en général aller travailler en ville.
Le canton encourage les coopératives à faire pousser des cultures plus rentables, comme des melons, et a édifié des zones industrielles. Lankao a aussi construit plusieurs monuments célébrant Jiao Yulu, dans l’espoir d’encourager le « tourisme rouge » — dédié aux hauts lieux du PCC.
Peng Biao, un jeune cadre de 27 ans, a ouvert avec sa femme un petit restaurant au bord de l’immense fleuve Jaune, espérant ainsi profiter du boom touristique. Trois plats y coûtent environ 40 yuans (5 euros), soit près d’une semaine de revenu moyen dans son village.
Lankao s’est beaucoup développé, assure le jeune restaurateur, mais sans créations d’emplois, « ce ne sera qu’une une bulle ». « En apparence, les gens semblent aisés. Mais en réalité, ils n’ont pas un sou dans leurs poches. »
– ‘Un obstacle’ –
L’écart entre riches et pauvres « est devenu assez alarmant », souligne Cheng Li, expert au sein du groupe de réflexion Brookings Institution, basé à Washington. « Le problème de l’essor économique chinois, c’est que les disparités économiques deviennent un obstacle au développement », estime-t-il.
Quelque 43,3 millions de Chinois vivent encore sous le seuil de pauvreté national, fixé à 2.300 yuans annuels (296 euros). Lankao est à 386 euros, mais le canton reste selon les critères de la Banque mondiale en situation « d’extrême pauvreté » — soit à moins de 587 euros par an.
Et l’objectif de Xi Jinping d’arriver à une « société de moyenne aisance » d’ici à 2020 ne sera pas atteint facilement à Lankao, même avec le puissant soutien présidentiel.
« Dans d’autres endroits, ce n’est peut-être pas un problème. Mais nous venons juste de sortir de la pauvreté », explique M. Wang, le cadre local. « Nos reins ne sont pas encore assez solides. »
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