
La perte par le groupe État islamique (EI) de Deir Ezzor, la dernière ville qu’il contrôlait dans son « califat » autoproclamé, est un coup dur pour l’organisation mais ne signifie ni sa défaite définitive ni son éradication, préviennent experts et officiels.
La conquête par l’armée syrienne, annoncée vendredi, de son dernier centre urbain va pousser l’EI à redevenir un mouvement jihadiste clandestin après avoir échoué à tenir et gouverner, en Irak et en Syrie, un territoire aussi vaste que l’Italie, peuplé de sept millions d’habitants, estiment-ils.
Le plus probable est que le groupe va se transformer à la fois en guérilla sur le terrain, dans les zones peuplées de musulmans sunnites que ni Bagdad ni Damas ne parviendront jamais à totalement contrôler, en foyers insurrectionnels dans d’autres pays et en « cyber-califat » qui continuera par sa propagande, comme ce fut le cas mardi à New York, à inspirer des attentats dans le monde entier.
« Daech (acronyme en arabe de l’EI) est acculé, il a perdu ses deux capitales, d’ultimes offensives sont à l’?uvre pour anéantir ce pseudocalifat et ses prétendus soldats », a assuré mardi, lors d’une audience au Sénat, la ministre française des Armées Florence Parly. « Mais nous n’en avons pas fini avec le terrorisme (…) L’attentat de New York nous le montre s’il en était besoin ».
« Le chant du cygne de Daech s’accompagne de nouvelles actions terroristes clandestines, parfois spectaculaires et la notoriété virtuelle de l’organisation reste tout à fait intacte », a-t-elle ajouté, avant de citer le Sahel, le Nigéria, le Levant, le Yémen ou les Philippines comme territoires « où se répandent encore les métastases de la haine aveugle ».
En Irak, l’EI est certes en déroute mais « la victoire militaire ne s’accompagne pas d’une vision politique de l’après-Daech en termes de réintégration de la population arabe et sunnite dans le jeu politique », confie à l’AFP le chercheur Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po Paris.
– « D’une organisation insurgée à un groupe terroriste » –
« Les perspectives sont encore pires en Syrie », ajoute-t-il. « Cette absence de stratégie à long terme laisse à Daech un important espace pour se reconstituer dans un avenir proche, tout en continuant d’animer dans le monde des réseaux de sympathisants et de militants galvanisés par l’extrême violence de ce combat ».
L’EI a été en Irak la résurgence du groupe jihadiste Al Qaïda en Irak, fondé en 2004, défait trois ans plus tard puis passé dans la clandestinité, avant de réapparaître sous une autre forme et un autre nom.
C’est hélas ce qui risque d’arriver pour l’EI, préviennent tous les experts, qui mettent en garde contre l’avènement, dans quelques mois ou quelques années, d’un « Daech.2 », peut-être plus redoutable encore.
« Il y a hélas peu de doutes que l’État islamique, ou quelque chose de similaire, survivra à la campagne mondiale lancée contre lui » estime, dans un rapport intitulé « Au-delà du califat », Richard Barrett, expert au sein du Soufan Group après avoir dirigé le contre-terrorisme au sein du MI6 britannique puis aux Nations Unies.
« Peu de choses sont prévisibles en matière de terrorisme dans un monde en constant changement », ajoute-t-il, « à part le fait que cela va poser un défi à la sécurité internationale pour longtemps encore ».
Il cite comme l’un des dangers principaux ce que vont devenir les membres survivants de la troupe de quelque 40.000 combattants étrangers, venus de plus de 110 pays, qui avaient rejoint les rangs du « califat » et sont maintenant soit prisonniers en Syrie ou en Irak, soit de retour dans leurs pays d’origine, soit à la recherche d’une nouvelle « terre de jihad ».
Pour Colin P. Clarke, expert au sein du groupe de réflexion Rand Corp., les revers militaires « forcent l’EI à changer de stratégies et de tactiques, mais c’est quelque chose à quoi il s’est préparé activement. En résumé, il va passer d’une organisation insurgée à un groupe terroriste ».
« Le monde assiste », ajoute-t-il, « à la transition, et par bien des aspect à la dégénérescence, d’une organisation avec des quartiers généraux stables en un réseau terroriste clandestin dispersé dans la région et le monde ».
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