Cambodge: l’opposition se rebiffe depuis son exil

Des SMS reçus en pleine nuit l’ont mise en garde qu’elle allait être arrêtée: Mu Sochua fait partie de ces nombreux députés d’opposition au Cambodge ayant pris le chemin de l’exil cette semaine.

« Vers dix heures lundi soir j’ai reçu un message d’un ancien militaire. Le message disait: +Pars cette semaine+ », explique-t-elle dans une interview à l’AFP à Bangkok.

« Nous vivions dans la peur d’être arrêtés (…) depuis l’arrestation de Kem Sokha », explique cette figure de l’opposition cambodgienne, « en transit » à Bangkok, dans l’attente de son départ vers l’Europe.

Elle rejoint ainsi le chef de file de l’opposition, Sam Rainsy, en exil en France depuis des années pour échapper à la prison dans une affaire jugée politique.

Elle évite ainsi de connaître le même sort que Kem Sokha, président du Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP), arrêté en pleine nuit début septembre lors d’une descente de police à son domicile à Phnom Penh, faite pour marquer les esprits et donner des doutes à ses compagnons de lutte.

« Je ne voulais pas qu’un autre meneur soit arrêté, qu’une autre voix soit réduite au silence. Cela ne me laissait pas d’autre choix que de partir », analyse aujourd’hui Mu Sochua.

« Je n’ai pas l’intention d’être capturée », insiste celle qui est vice-présidente du CNRP, qui aurait dû en toute logique être la suivante sur la liste.

« Je ne voulais pas attendre qu’une parodie de tribunal nous juge », estime la politicienne de 63 ans, fine connaisseuse des rouages du régime du Premier ministre Hun Sen.

Elle le connaît de l’intérieur, pour avoir eu des phases d’alliance avec Hun Sen: en 1998, elle a même accepté d’être sa ministre des Droits des femmes, un poste où elle s’est distinguée dans la lutte contre la prostitution.

Mais au début des années 2000, elle décide de rejoindre Sam Rainsy, l’ennemi juré de Hun Sen.

C’est sur la liste du parti de Sam Rainsy tout nouvellement formé, le CNRP, qu’elle a été élue députée lors des législatives de 2013.

– Phases de durcissement –

Mu Sochua a ensuite vécu de l’intérieur toutes les phases de durcissement du régime de Hun Sen pour tenter de mettre à genoux l’opposition: la répression des manifestations contestant les fraudes électorales, les mois de boycott du parlement par les députés du CNRP, les raids sur le siège du parti…

Mais l’arrestation de Kem Soka a marqué pour celle qui a grandi pendant près de vingt ans aux Etats-Unis un point de non-retour.

« Pour la première fois, je me suis sentie en danger. Et d’un point de vue politique, c’est la première fois que je sens qu’il n’y a plus de dialogue possible », déplore-t-elle.

Comme elle, près de la moitié des parlementaires de l’opposition cambodgienne ont fui à l’étranger depuis cette arrestation début septembre.

La semaine dernière, l’envoyé des Nations Unies pour les droits de l’homme au Cambodge a averti que le pays semblait aller droit dans le « précipice », avec cette répression tous azimuts de l’opposition.

Mu Sochua refuse de se résigner et a la ferme intention de continuer la lutte politique depuis l’étranger, en voyageant pour alerter la communauté internationale sur les dérives du régime. Elle réfléchit encore aux meilleurs moyens d’aborder les élections de juillet 2018, évoquant leur boycott.

« Nous ne pouvons pas participer à des élections qui ne sont pas libres », dit celle dont le parti a capitalisé sur la colère qui monte parmi la population et surtout les jeunes, lassés de la corruption et de l’accaparement des richesses par une élite proche de Hun Sen.

La question du boycott risque de ne même pas se poser: vendredi, le gouvernement a demandé à la Cour suprême la dissolution du CNRP, dernière étape de son entreprise d’éradication.

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